- Chevènement et la laïcité
: "Le discours de Chevènement est loin d'être
fermement laïque. Ainsi, lorsqu'il s'exprime en tant que ministre
de l'Intérieur chargé des cultes devant les autorités
religieuses présentes à Strasbourg à l'occasion
de l'ordination épiscopale de Mgr Joseph Doré, nouvel
archevêque de la ville, le 23 novembre 1997. Au début
de son intervention, Chevènement semble seulement défendre
l'idée (compréhensible) d'enseigner l'histoire des
religions : "On ne peut concevoir, en France, une solide formation
intellectuelle, fut-elle élémentaire, qui ignorerait
la contribution des religions monothéistes au façonnement
de notre nation. Rien que de très louable en soi, même
si le discours vire très vite à la glorification des
Évangiles (...) Le problème, c'est que la démonstration
de style et l'érudition affichée pour séduire
l'épiscopat strasbourgeois s'accompagne dans les faits d'une
capitulation totale lorsqu'il s'agit de défendre le principe
de séparation de l'Église et de l'État en Alsace-Moselle.
Ainsi l'homme reprend-il à son compte tous les arguments
que nous avons récusés dans le n°13 de ProChoix
au sujet de l'Alsace-Lorraine : "Tel est aussi le cas en Alsace-Moselle.
Ici prévaut le Concordat de 1801. Les publicistes disputent
l'épineuse question du maintien du régime concordataire
après l'annexion allemande de 1871. Le fait est établi.
Ses modalités et ses fondements juridiques sont contestés.
J'observe seulement que par deux fois, quand l'occasion survint,
les gouvernements français n'ont pas jugé bon de revenir
sur les dispositions légales et réglementaires héritées
du passé. Ce legs de l'histoire doit être compris.
Il s'agit sans doute d'une particularité régionale,
d'une exception dans l'exception française. Ses raisons directes
sont connues : l'attachement des autorités religieuses, mais
aussi de la population alsacienne et mosellane à la tradition
du Concordat. Le législateur, sagement, n'a pas souhaité
s'y opposer. Je ne vous surprendrai pas en vous disant que le gouvernement
n'a pas l'intention de changer d'attitude. Une fin de non-recevoir
que les laïques pro-Chevènement feraient bien de méditer.
- Chevènement et les sans-papiers
: " Pendant la guerre du Golfe, Chevènement est apparu
comme un "résistant", un défenseur du Sud
face aux impérialistes du Nord. Pourtant en France, lorsqu'il
a les rênes du pouvoir, il est à lorigine de
mesures qui n'ont rien à envier à celles de Charles
Pasqua. Il serait trop long ici d'en faire état, mais rappelons
tout de même qu'en 1999 le ministre de l'Intérieur
adressa aux préfets une circulaire sur "l'éloignement
des étrangers en situation irrégulière"
des plus alarmantes. Le GISTI lanalyse en ces termes : "Le
ministre, qui s'était publiquement engagé à
procéder à au moins 12 000 expulsions par an, c'est-à-dire
à faire autant que Jean-Louis Debré, s'inquiète
de ce que cet objectif ne sera pas atteint. (
) M. Chevènement
ordonne donc aux préfets de mettre en uvre des dispositions
énergiques pour faire du chiffre. Pour ce faire, il les invite
à procéder à des interpellations collectives
et des vérifications de régularité dans
les endroits que [les services de police et de gendarmerie leur]
auront indiqués comme étant ceux où se concentrent
les irréguliers. Or, l'article 78-2 du Code de procédure
pénale limite dans ce cas les contrôles d'identité
aux personnes à l'égard desquelles existe un
indice faisant présumer qu'elles ont commis une infraction".
En d'autres termes, le ministre de l'Intérieur assimile la
présence d'une personne en un lieu où sont réputés
se concentrer des irréguliers comme un indice faisant présumer
qu'elle est irrégulière. Dans la pratique, cette piètre
conception de la liberté de circulation et de la présomption
d'innocence permet de légaliser le contrôle au faciès
: les préfets sont invités à interpeller les
étrangers lorsqu'ils sont en groupe. C'est précisément
ce que l'on appelle une rafle xénophobe. Et ce n'est pas
tout, comme le rappelle le GISTI, Chevènement annonce alors
son intention de "faire progresser la mise en uvre du
fichier des empreintes de demandeurs de titres de séjour
prévu par l'ordonnance de 1945" et ordonne aux préfets
d'alimenter en informations cette base de données : "Cette
disposition de fichage a été ajoutée par la
loi Debré du 11 mars 1997 à l'ordonnance de 1945.
- Chevènement et la dérive
sécuritaire" : "Rappelons également
que Chevènement a été le premier ministre à
se permettre d'envoyer la police dans les facs depuis 68. Il s'agissait
d'y déloger les collectifs de sans-papiers. En 2000, il a
passé alliance avec plusieurs présidents d'universités
comme Nanterre, Toulouse Le Mirail et Paris VIII Saint-Denis pour
y organiser des évacuations qui ont souvent été
violentes et se sont soldées par des mises en examen de sans-papiers
ou de leurs soutiens. Pour cela, Chevènement invita des établissements
a levé les franchises qui empêchaient jusque-là
les forces de l'ordre dentrer sur les campus sans autorisation.
Grâce à lui, les forces de l'ordre peuvent donc désormais
y entrer quand ils veulent pour y faire régner lordre
et la sécurité !
- Chevènement et le PaCS:
"Si l'ambiguïté qualifie déjà les
rapports de Chevènement avec la laïcité et la
République, que dire des rapports entretenus par son mouvement
avec le PaCS. Il faut le rappeler, à travers la personne
de Jean-Pierre Michel (rapporteur du PaCS) et Jan-Paul Pouliquen
(fondateur du Collectif pour le PaCS), le Mouvement des citoyens
a largement contribué à l'avènement de ce texte,
non sans le façonner à sa manière. Ce n'est
pas un hasard si, contre toute attente, le PaCS n'a pas résolu
le cas pourtant tragique de couples binationaux homosexuels séparés
par des arrêtés de reconduite à la frontière.
(...) Mieux, les derniers homos égarés qui
en étaient encore à se demander si le Mouvement des
citoyens était une famille politique pour eux seront
intéressés d'apprendre que récemment, le parti
de Chevènement compte certes toujours Jean-Pierre Michel
dans ses rangs mais vient d'accueillir une nouvelle recrue du nom
de Michel Pinton
Et oui, le fameux Pinton à l'origine
de la pétition des maires anti-CUS, habitué à
collaborer avec le pire des associations familialistes ! Comme si
le parti voulait rétablir son image après le PaCS,
il puise donc dans ce que la politique compte de plus réactionnaire.
- Chevènement et les droits des
femmes : "Le 9 Septembre, Jean-Pierre Chevènement
annonçait le programme en 12 points qu'il compte développer
lors des élections présidentielles. Parmi eux, un
point prévoit de "permettre aux femmes de mieux concilier
leur vie professionnelle et leur épanouissement familial".
Un engagement en soi peu féministe, d'autant qu'à
aucun moment le président du MDC n'envisage que des hommes
puissent, eux aussi, vouloir concilier leur vie professionnelle
et leur épanouissement familial. Hésitant entre le
kitsch et la grossièreté, cest le jour de la
Saint-Valentin que le président du MDC a convoqué
les groupes de femmes pour leur exposer son programme. Mais cest
au cours dun meeting à Besançon, le 24 janvier,
quil a sans doute été le plus clair dans sa
façon de privilégier le familialisme au féminisme.
Plaidant pour que l'on "sorte du dogmatisme idéologique",
lhomme a expliqué : l'entrée massive des
femmes dans le monde du travail est un phénomène positif
et irréversible", mais il a surtout plaidé en
faveur dun État fermement nataliste :"l'État
doit mener une politique familiale volontariste et se préoccuper
au plus haut point du renouvellement des générations".
Selon lui, en effet, "il appartient aussi à l'État
républicain de se poser la question vitale de la démographie"
: "C'est par les enfants qu'une société se transforme
et progresse." Et lhomme dajouter : "Il serait
temps que la France le comprenne", "cela passe par une
autre politique économique susceptible de redonner l'espoir,
sans lequel il n'y a ni vie, ni envie de donner la vie", "Nous
devons faire en sorte que tout enfant désiré puisse
naître". Gloups. Vous croyez au dérapage ? Pas
du tout. Chevènement a toujours tenu des positions familialistes
voire natalistes et ses accointances avec le milieu provie sont
loin de faire penser à des accidents.
- Chevènement et la natalisme
: " il y a quelques années, Chevènement signait
un Appel pour sauver lavenir baptisé SOS
Jeunesse, aux côtés de tout le gratin provie. Paru
dans le Figaro, lappel est terrifiant : lévolution
démographique de la France et de la plupart des pays européens
est dramatique. Suivent les causes supposées dun
tel drame, dont lavortement bien sûr : la
France a perdu un million cinq cent mille jeunes depuis 1975, soit
presque autant que la saignée de 1914. Une saignée
compensée par des flux migratoires depuis, mais c'est justement
ce qui inquiète les auteurs de l'appel : les dirigeants
oublient aussi que lintégration des flux migratoires
à venir sera dautant plus difficile quil y aura
de moins en moins denfants autochtones dans les écoles.
Bref, toujours trop détrangers et jamais assez de Français.
L'Appel a beau se montrer rassurant Il nest pas
question dintroduire quelque politique coercitive que ce soit,
ni de supprimer des libertés, en matière de vie privée,
auxquelles tiennent les couples français on
reste impressionné par son inspiration nataliste.
À vrai dire, excepté Jean-Pierre Chevènement,
les noms des signataires ne sont guère surprenants : Évelyne
Sullerot (présentée comme cofondatrice du Planning
familial et qui aujourdhui a rejoint les rangs des anti-avortement
et des anti-PaCS), Jacques Dupâquier (démographe de
lEHESS mais aussi rédacteur en chef de Population et
avenir, une association provie), Jean-Claude Barreau, Pierre Chaunu,
Jean Foyer, sans parler de Clara Lejeune-Gaymard (fille du professeur
Lejeune et femme de Hervé Gaymard). Plus instructif encore,
on y trouve également la signature d'élus comme Christine
Boutin, Jean-Pierre Soisson (compromis dans des alliances régionales
avec le FN), ou Philippe de Villiers... Comme si en accolant sa
signature à la leur, Chevènement fermait la boucle
d'une famille politique anti-choix qui se reconnaît et nous
permet enfin de la reconnaître à notre tour.
Pour ceux qui douteraient encore, Jean-Pierre Chevènement
a eu la gentillesse d'accompagner sa signature d'un texte nataliste
de son cru : Le vieillissement de la France et de lEurope
entraîne la stagnation économique, cest parce
quil y a de moins en moins de jeunes et parce que toute la
politique économique et monétaire au nom du franc
fort et à coups dintérêts dopés
encourage la rente, quil y a de plus en plus de jeunes chômeurs.
La France est devenue un pays de vieux et elle mène une politique
de vieux. Elle a fermé devant sa jeunesse les portes de lavenir.
Le futur ministre rappelle quil a proposé lidée
en 1979 dun congé parental dans le projet socialiste
(et ce ne fut pas sans peine insiste-t-il). Afin de
relancer la natalité, lhomme propose en vrac de développer
les crèches, d'encourager la naissance du premier enfant,
de ne pas imposer les allocations familiales... Il enjoint le pouvoir
de lutter contre les famille monoparentales qui peuvent
être un choix mais qui le sont rarement (sic). Enfin
il explique que si la gauche ne sintéresse pas à
la démographie, cest sans doute [que] le terrorisme
intellectuel du politiquement correct y est pour quelque chose
(re sic !). Boutin et Villiers, cosignataires, n'auraient pas dit
mieux
Ce n'est d'ailleurs pas la première
fois que Chevènement flirte avec le milieu familialiste.
C'est aussi sous son patronage (et celui de quelques autres- 6)
que la fondation Scelles organisa le 16 mai 2000 à l'UNESCO
un colloque intitulé "Peuple de l'abîme, la prostitution
aujourd'hui". On pouvait y écouter entre autres le professeur
Pierre Chaunu, grande figure du milieu provie, avec qui Chevènement
a d'ailleurs signé il y a quelques années un appel
contre la dénatalité : SOS Jeunesse. Dans son intervention,
égal à lui même, Chaunu ne manqua pas de stigmatiser
la dégradation des murs, source du développement
de la prostitution et dinvoquer aussi le châtiment divin
qui frappe les sodomites, dont la muqueuse anale est justement perméable
au virus du sida
- Les Amis de Chevènement
: "Comment s'étonner qu'avec une telle collection de
positions réac' dans sa besace, Chevènement finisse
par séduire ce que le monde compte de plus conservateur.
Depuis 1984, date où il a été ministre de l'Éducation
nationale, il n'a cessé d'entretenir ses relations à
droite. Pour désamorcer la crise scolaire, il est ainsi discrètement
aidé par le rédacteur de la constitution de la Vème
République : "Les conseils très fins de Michel
Debré m'ont évité de tâtonner",
confiera-t-il plus tard. Il participe avec Marie-France Garaud à
un colloque sur "l'identité allemande" à
Berlin. Au colloque sur "l'identité française"
organisé en 1985 par le Club de l'Horloge, son nom ne cesse
d'être évoqué et cité. En campagne pour
les élections de 1986 et 1988, il demandera à la gauche
de ne pas "s'alarmer parce que des gens qui votaient à
droite pourraient la rejoindre. Dans son livre L'ardeur nouvelle,
Charles Pasqua fait un procès en règle du socialisme,
mais décerne un "bon point" à M. Chevènement.
Après la défaite des élections législatives,
celui-ci revient à la charge et explique que "le paysage
politique a changé, l'union de la gauche est derrière
nous". Il faut admettre "toutes les recompositions possibles".
Parmi les personnalités sulfureuses à le soutenir
: Florence Kuntz et William Abitbol venus du RPF de Charles Pasqua,
le gaulliste Pierre Dabezies, Laurent Alaphillipe, ancien cadre
des jeunes RPR, Olivier Marlière, adjoint au maire de Valenciennes...
mais aussi et surtout Poujade, dont le soutien ferait même
honte à certains lepénistes ! Sur son site pourtant,
Jean-Pierre Chevènement tient à défendre ce
ralliement, arguant du fait que Poujade aurait soutenu tous les
présidents élus depuis trente ans ! Il nempêche,
la superstition ne justifie pas tout. Et certainement pas lalliance
avec un autre individu, Paul-Marie Coûteaux, avec qui travailla
Chevènement au ministère de la Défense entre
1988 et 1991 et qui n'est autre qu'un ardent militant royaliste.
En 1996, encore dans le placard (du royalisme), il dit vouloir "refuser
de casser ce qui reste dunité française,
changer lheure de nos montres pour ne pas avoir la même
que M. Le Pen, ouvrir à la démagogie un véritable
boulevard en lui abandonnant tout le champ symbolique". En
fait, c'est Couteaux qui incitera Chevènement à adopter
le terme pourtant très marqué de souverainiste.
Quand tout fout le camp, on retrouve les fondamentaux : l'autorité
de l'État et l'indépendance nationale explique
le député européen, alors élu sur la
liste de Charles Pasqua en 1999. Il est aux côtés de
Denis About, ancien camelot, et surtout de Pierre Pujo, alors président
de la Restauration Nationale et directeur du journal de l'Action
française. Ce dernier explique : Nous sommes proches
de tous ceux qui sont pour la nation.
Avec un tel réservoir dalliés potentiels, faut-il
enfin s'étonner de la présence du général
Pierre-Marie Gallois parmi les 100 premiers signataires soutenant
la candidature de J.-P. Chevènement à la prochaine
présidentielle ? Il faut en tout cas le relever tant le personnage
incarne pour le coup un soutien qui aura fait honte à Le
Pen lui même mais ne semble pas déplaire à Chevènement.
En plein massacre en ex-Yougoslavie, le vieux général
s'était par exemple illustré pour avoir écrit
à Mladic, le grand nettoyeur ethnique, qu'il se serait volontiers
battu à ses côtés si l'âge ne l'en avait
pas empêché. Lhomme est suffisamment proche de
Chevènement pour que son domicile serve de lieu de rencontre.
Ainsi, cest chez lui qua eu lieu le 15 janvier, selon
le Figaro, un dîner avec Jean-Pierre Chevènement et
Philippe de Villiers. Villiers aurait proposé à Chevènement
de rejoindre ses rangs. On a les soutiens que l'on mérite...
Le 4 février, lun des opposants les plus farouches
au PaCS expliqua à Libération : Je ferais un
bien meilleur ministre de Jean-Pierre Chevènement que Michel
Pinton. Preuve que leur dîner fut au minimum cordial,
l'ancien ministre a mis près d'une semaine à écarter
cette hypothèse. Et encore, il aura fallu la menace de certains
de ses partisans comme Jean-Pierre Michel : Si Villiers te
rejoint, je vote Jospin. Reste qu'aux dernières nouvelles,
le MDC continue de naviguer en pleines contradictions. Il aurait
même trouvé un nouveau slogan : "Ni droite, ni
gauche"
Dommage, le Front national l'utilise déjà
depuis plusieurs années".