Des femmes du Mouvement de libération des femmes (non déposé, ni «co-fondé»).

Nous voilà donc, en octobre 2008, conviées à célébrer le quarantième anniversaire de la «fondation» du MLF, sous le patronage d¹Antoinette Fouque, directrice des éditions Des femmes. Au-delà de la bizarrerie de cette annonce (le «MLF» - Mouvement de libération des femmes n¹apparaît dans aucun tract militant, aucun compte rendu de réunion, aucun média avant 1970) et de l¹hilarité qu¹elle suscite chez nombre d¹actrices et de contemporain(e)s du mouvement, c¹est la notion même de «fondation» d¹un mouvement social qui est un véritable oxymore.

On a beaucoup parlé, récemment, de mai 1968. On en a rappelé le fantastique foisonnement de paroles, d¹idées, de révoltes, de désirs enfin mis à nu : un formidable moment de (re)mise en mouvement de la société - et pas seulement en France.

Il n¹est venu à l¹idée d¹aucun des acteurs, célèbres ou anonymes, de cette période, d¹en réclamer la paternité, de se déclarer initiateur, ou «fondateur» de mai 1968. Daniel Cohn-Bendit lui-même, symbole du mouvement l¹aurait-il tenté, qu¹il eût été accueilli par un gigantesque éclat de rire et amicalement enjoint de se soigner dans les plus brefs délais. Car, nous le savons, on peut fonder une entreprise, une association, un culte, une SCI, une SARL, une maison d¹éditions, une secte, parfois tout cela ensemble : on ne peut pas «fonder» un mouvement. Il existe bien sûr des livres fondateurs : le Capital, par exemple ; il existe des actes, ou des événements fondateurs : la nuit du 4 août, la prise de la Bastille, ou du palais d¹Hiver ; ils ne font nullement de Marx le «fondateur» du mouvement ouvrier, de Saint-Just ou Robespierre les «fondateurs» de la révolution française, ou de Lénine le «fondateur» de la révolution d¹Octobre - et Antoinette Fouque, même si certains de ses admirateurs le pensent, n¹est pas Marx, ou Saint-Just, ou Lénine.

De tous les mouvements sociaux du siècle, seul le «MLF», à en croire Antoinette Fouque, aurait été «fondé» ? A une date précise ? Dans un lieu précis ? Par une personne précise ? Ou deux ? Ou trois ? Ou quinze ? Et cette personne, ou ces deux, ou trois, ou quinze personnes auraient dissimulé la chose durant des décennies ? Elle aurait, elles auraient, durant les «années mouvement», travaillé ensemble, milité, écrit des textes, publié des journaux, manifesté dans les rues, vécu des conflits - ou des histoires d¹amour - sans jamais avoir révélé à quiconque leur secret ? Sait-on qu¹Antoinette Fouque elle-même s¹en est décrétée «fondatrice» seulement au début des années 1990 ?

Fondation occulte donc et, aussi, divinatoire : elle serait survenue, toujours dans la légende dorée que l¹on nous propose, avec deux ans d¹avance. Peut-on imaginer Dany Cohn-Bendit convoquant presse, radios et télévisions pour commémorer le 40e anniversaire de mai 1968 en 1966 ? Célébrant la «fondation de mai 1968» par lui et deux ou trois amis dans une maison au bord de la Méditerranée, en septembre 1965 ? Ou par quinze autres amis dans un appartement parisien un jour de février 1966, comme par hasard jour de son anniversaire ? Ce sont là pourtant deux des versions récentes - et ahurissantes - données par Antoinette Fouque de la «fondation» du MLF.

Soyons clairs. Antoinette Fouque a fait, incontestablement, partie du mouvement de libération des femmes. Elle y a dirigé la tendance «psychanalyse et politique», qui séduisit nombre de jeunes femmes, et d¹hommes - et en horripila nombre d¹autres - ce sont là contradictions classiques, dans tout mouvement. Elle a fondé la librairie Des femmes, et les éditions éponymes, dont le catalogue est remarquable. Elle a été élue députée européenne (sur la liste de Bernard Tapie), et semble disposer de moyens financiers considérables. D¹autres s¹en contenteraient. Les raisons pour lesquelles il lui a fallu confisquer, autrefois, le mouvement de libération des femmes à son seul profit (1) en déposant à la stupeur générale une marque commerciale : «MLF». Les raisons pour lesquelles il lui faut, aujourd¹hui, en confisquer et en falsifier l¹histoire restent, à nos yeux, mystérieuses. Ce qui ne l¹est pas ce sont ses effets. A propos du dépôt de la marque commerciale «MLF», Simone de Beauvoir disait : «réduire au silence des milliers de femmes en prétendant parler à leur place, c¹est exercer une révoltante tyrannie».

(1) Cf. Chroniques d¹une imposture : du mouvement de libération des femmes à une marque commerciale, Nadja Ringart, éditions Mouvement pour les luttes féministes, 1981, Paris. Réagir <http://www.liberation.fr/societe/0101121977-mlf-1970-annee-zero#>