Je tenais à vous remercier pour les nombreux messages de soutien que nous avons reçus suite au traquenard du 31 mars dernier à l'Institut du Monde Arabe. Si je ne me suis pas exprimée plus tôt, c'est par réelle incapacité.

La violence du moment a mis du temps à se tranformer en quelque chose de non destructeur. La connivence du représentant de l'Institut du monde arabe avec le Hezbollah m'a fait tomber de haut. Les injures racistes sexistes et homophobes proférées par le petit commando ne m'ont pas autant fait mal que le visage atterré de quelques participants qui écoutaient les larmes aux yeux dire que « Al Qaïda était un groupe insignifiant » ou que « les Frères musulmans étaient un parti de libération populaire » ou encore que les partisans de deux Etats, un Etat palestinien et un Etat israélien étaient « Ã  la solde de l'état-major israélien ». Aux citations tronquées de notre livre ont succédé de véritables menaces physiques. Ce qui s'est passé n'avait rien à voir avec un débat. D'ailleurs le représentant de l'Institut du monde arabe nous l'avait signifié, en nous expliquant que nous ne pouvions pas présenter le livre mais que nous devions écouter ce que "ses" amis avaient à nous dire. Ce qui s'était passé n'avait même pas les avantages d'une rixe où mes quelques bases d'art martiaux auraient pu me libérer de cette mauvaise page. Au lieu de cela, j'ai dû me résoudre à faire putching ball, en attendant d'être escortée vers la sortie.

Les douze premières heures ont été difficiles à vivre. Les moments de fureur ont succédé à la crainte physique et aux pleurs nerveux avec en voix off ma propre culpabilité. Pourquoi me suis-je fourrée dans cette situation ? J'avais vu les listes de diffusion pro-islamistes diffuser l'appel à la réunion. Pourquoi ne me suis-je pas levée au bout de cinq minutes ? J'ai eu envie de tout laisser, de faire ma valise et de laisser ce pays aux mains de ces gens-là. Au fond, n'ai-je pas déjà assez fait ? J'ai enfin compris la lettre de démission envoyée par Bétoule Fékar Lambiotte à Nicolas Sarkozy au moment du CFCM, lorsqu'il a offert l'islam de France à l'UOIF. Elle expliquait qu'elle ne pouvait pas participer en France à ce qui avait tué l'Algérie...

Le lendemain, bien que n'ayant toujours pas dormi, plusieurs participants nous ont appelées. Ils étaient atterrés de ce qui s'était passé. Deux d'entre eux, Tewfik Allal et Jean-François Chalot, ont raconté ce qu'ils avaient vu et vécu. Je les en remercie. Il nous était impossible de le faire. Nous n'avions pas encore récupéré. Suite à leur témoignages, vos encouragements sont arrivés, nombreux, chaleureux, inquiets mais aussi nous demandant de continuer.

Il est impossible de continuer comme si rien ne s'était passé. Depuis que Caroline [Fourest] et moi avons décidé d'assumer de combattre simultanément les intégrismes juif, chrétien et musulman,[1] les choses ne sont plus aussi faciles que quand nous ne combattions que l'intégrisme chrétien. Nous avions, à Prochoix, décidé de répondre par l'écrit mais les attaques ont redoublé. Et nous ne sommes pas les seules. Les membres de la commission Stasi qui ont pris des positions courageuses se sont vus menacés de mort. Une infirmière bien connue des quartiers, qui a témoigné à la commission Stasi, s'est vue signifier qu'elle « finirait dans une cave ». Plusieurs participantes de Ni putes ni soumises se sont vues insultées. Des militants nationalistes arabes qui les soutiennent se sont fait traiter d'« arabes enjuivés ». Localement des militants antiracistes d'origine algérienne ou iranienne, réfugiés parce qu'ils ont fui les intégristes dans leur pays, ont vu leurs amis soutenir les partisans du GIA en France.

Face à cela, il y a deux solutions : baisser la tête en attendant qu'on nous la coupe (et j'avoue que le 31 au soir, j'y ai pensé) ou résister, ensemble, systématiquement. Une phrase me revenait en tête comme un regret, dans les jours qui ont suivi : au moins dans une guerre civile, tous les combattants ont une arme... là, je ne peux pas tirer.

Une semaine plus tard, je réalise que ce n'est pas tout à fait vrai. Nous avons des stylos, et des ordinateurs, des sites internet, une revue, des téléphones et des fax. Contrairement aux résistants à l'islamisme dans les pays musulmans, nous ne sommes pas entre l'enclume et le marteau. La liberté d'expression existe. Désormais, nous appliquerons, à la lettre, la méthode que nous avons employé contre les intégristes chrétiens.

1- Nous parlerons par tous les moyens, de tout exemple de personne diffamée, injuriée, attaquée,

2- Nous dénoncerons toute collusion entre l'extrême droite religieuse (chrétienne, musulmane ou juive) les associations et les individus qui n'en font pas encore partie. Nous demanderons des explications à toutes les associations et leurs soutiens dont certains membres ont été impliqués dans ces collusions et nous publierons leurs réactions,

3- Nous n'hésiterons plus à poursuivre en justice tout acte diffamatoire, injurieux ou menacant à notre égard. En octobre, nous ne l'avons pas fait contre une association qui démarrait une campagne de diffamation à l'égard de Prochoix. Nous le regrettons aujourd'hui. Nous porterons systématiquement plainte, car il faut remettre du droit dans toute cette folie.

Fiammetta Venner,
directrice de publication de ProChoix

Notes

[1] Caroline Fourest, Fiammetta Venner, Tirs croisés. La laicité à l'épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman, Calmann-Levy, 2003. (Pour en savoir plus...)